Édition 2 La politique qui isole

La politique qui isole

On aime dire que la politique municipale, c’est le palier “le plus proche des citoyens”. C’est vrai. Mais ce qu’on ne dit pas assez, c’est qu’elle peut aussi être le palier le plus brutal pour l’humain qui la pratique.

Depuis 2021, près de 800 élu·es municipaux ont démissionné avant la fin de leur mandat au Québec. Huit. Cents. Pas parce qu’ils ne savaient pas lire un budget ou gérer une réunion. Parce que l’isolement, l’agressivité et le manque de soutien les ont cassés.

La solitude derrière le micro

Je sais de quoi je parle. J’ai siégé comme conseillère municipale, j’ai vécu la machine de l’intérieur, et j’ai mené une campagne à la mairie. Et même quand la salle est pleine, même quand le micro est allumé, la solitude est partout.

  • La solitude des décisions prises en huis clos.
  • La solitude des attaques personnelles, souvent gratuites.
  • La solitude quand on se fait traiter de “pas assez ceci, trop cela”.

Un message haineux, un commentaire malveillant, un regard méprisant en coulisse… ça use. Et ça ne paraît pas sur la photo officielle avec le sourire forcé.

Un métier sans filet

Être élu·e, ce n’est pas un 9 à 5. C’est une vie sous pression, sans pause, sans mode d’emploi. Quand les attaques s’accumulent, quand les médias t’attendent au détour, quand ton téléphone vibre à minuit parce qu’un citoyen t’insulte sur Messenger… tu réalises vite que tu n’as aucun filet de sécurité.

Un coach? Un mentor? Une structure d’accompagnement? Rarement. On nous lance dans l’arène comme si l’instinct suffisait. Mais diriger, représenter, incarner une ville… ce n’est pas un rôle improvisé.

Et si on accompagnait mieux nos élu·es?

On s’attarde beaucoup à “professionnaliser” la politique : donner plus d’outils techniques, des formations, des guides de procédures. C’est utile. Mais ce n’est pas assez.

Ce qu’il manque, c’est un accompagnement humain. Regardez les athlètes, les entrepreneurs, les artistes : ils ont des coachs. Parce qu’on sait que la performance, ça use. Que l’endurance, ça s’entraîne. Alors pourquoi on laisse nos élu·es seuls dans l’arène politique, comme si la résilience devait pousser toute seule?

Moi-même, j’aurais eu besoin d’un coach. J’aurais eu besoin d’une oreille experte qui me dit :

  • “Ça, c’est une attaque politique, pas une attaque personnelle.”
  • “Tu as le droit de mettre une limite.”
  • “Voici comment tenir debout sans t’épuiser.”

Au lieu de ça, j’ai appris sur le tas. Et ça m’a coûté cher.

La solitude tue une vocation

L’isolement, ce n’est pas juste inconfortable. Ça tue des vocations. C’est pour ça que, depuis 2021, des centaines d’élu·es ont quitté en plein mandat. Et chaque démission, c’est une perte pour la démocratie. Parce qu’un siège vide, c’est une voix en moins. Parce qu’un départ prématuré, c’est un projet interrompu. Parce qu’une élue épuisée qui s’en va, c’est souvent une femme de moins à la table.

Alors, on fait quoi?

Il faut arrêter de banaliser la solitude politique. Il faut reconnaître que la santé mentale et émotionnelle des élu·es est aussi importante que leur compétence technique. Il faut créer des espaces de soutien, de mentorat, de coaching politique.

Et surtout, il faut dire aux prochains et prochaines qui se lancent : vous n’êtes pas seuls.

Moi, j’écris ici parce que je veux briser ce silence. Parce que je sais que derrière chaque démission, il y a un humain qui a vacillé. Et parce que je crois encore que si on prend soin de nos élu·es, on prend soin de nos villes.

Alors dites-moi : est-ce qu’on est prêt·es à admettre que la politique est un métier à haut risque humain? Et si oui… qu’est-ce qu’on attend pour offrir enfin un vrai filet de sécurité à celles et ceux qui choisissent de servir?

 

Sylvie Goneau — Ex-conseillère municipale et stratège en gouvernance. J’ai survécu aux coulisses de l’Hôtel de Ville et j’écris ce qu’on ne dit jamais dans les communiqués.

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